Mon histoire est-elle vraiment digne d'être contée ? Je n'ai jamais songé à faire une auto-biographie parce que je ne crois pas être si intéressant, ni même ai-je des choses importantes à raconter. Les politiciens, les célébrités, les sportifs vivent souvent des existences hors normes où se mêlent romances enflammées et coups de chance inespérés du destin au moment où tout semblait difficile. Voir même parfois l'apparition d'un mécène qui leurs permit de briller et de mettre en avant leurs talents. Moi ça n'a jamais été mon cas, je n'ai jamais eu de mystérieux inconnu prêt à m'aider, je n'ai jamais eu de coup de main surprise de la providence, pas même de romances endiablées incessantes. Non, j'ai travaillé peut-être un peu plus que d'autres, j'ai eu de l'inspiration au bon moment et j'ai eu la chance de posséder ce que d'autres qualifieraient d'un don. Malheureusement un don pour le trading ne donnerait rien de bien intéressant à transposer en biographie. Je ne saurai pas non plus comment exprimer l'insolente inspiration de mes romans et le succès qui en découla. Si toutefois mon histoire vous intéresse, je vais en faire un court résumé. Alors voyons voir, que pourrai-je vous dire sur moi si je devais faire le récit de mon existence ?

Si je devais faire ma propre biographie il me faudrait commencer par mes débuts en plein cœur de la Grande Pomme. Américain pur souche, j'ai entamé mon existence à New York, fils d'un infirmier et d'une responsable de logistique. Il y avait avant moi une grande-soeur d'un an mon ainée et après moi un petit frère de deux ans ma benjamine. Tous les trois nous avons eu trois histoires très différentes. Ma sœur n'avait pour obsession que d'entrer dans le monde médical et elle parvint à devenir médecin généraliste, travaillant aujourd'hui dans l'hôpital où mon père travaillait auparavant. Quand à mon frère c'était la coiffure qui le fascinait dès son plus jeune âge. Immanquablement il devint coiffeur et barbier, aujourd'hui il peut se vanter de trois salons qui marchent à merveille à New York et Manhattan. Quand à moi j'ai mis du temps à trouver ma voie. J'étais le rêveur de la famille, alors que ma sœur avait dix-sept ans et parlait de médecine que mon frère avait 14 ans et ne cessait de feuilleter des revues sur les dernières coupes de cheveux à la mode, moi je rêvais en relisant une énième fois un roman. Je ne me prédestinais pas à une vie de romancier, je n'ai commencé à écrire que plus tard, j'avais 22 ans quand j'écrivis mon premier roman. C'était un roman mêlant espionnage, érotisme et action à gogo avec un héros stupidement plat dont les motivations principales étaient l'adrénaline, les grosses voitures et les belles femmes. Tel Gérard De Villiers je fis vivre mon personnage à travers sept romans tous plus rocambolesques les uns que les autres, j'écrivais alors sous un nom de plume "M. Jefferson", ça occupait mes études de commerce et me ramenait un peu d'argent pour compléter la bourse que j'avais décroché. Faute de savoir ce que je voulais faire précisément, je brillais dans mes études, c'est d'ailleurs à la faculté que j'allais rencontre ma première et unique petite amie qui deviendrait plutôt ma femme et la mère de ma fille. Elle s'appelait Angela, elle avait des yeux couleur de jade et une chevelure d'un blond doré, un esprit fin et une passion pour la littérature qui la poussait dans des études de ce domaine.

Les années filèrent, nous avions tous deux trente ans, Angela travaillait comme professeur de lettre dans une université de New York tandis que je travaillais pour une société de trading. J'avais été engagé dans un premier temps comme recruteur de clientèles, à comprendre que je rencontrais de riches et très riches personnes afin de leurs démontrer que la société de trading qui m'employait était de loin la meilleure. Que nous limitions les risques et parvenions à gagner plus que les autres sociétés. Bien entendu chaque société avait ses propres recruteurs qui vendaient les mêmes salades aux mêmes prospects. Après deux années à recruter de nouveaux clients et des soirées à m'épuiser à comprendre les rouages de la bourse, je demandais à devenir trader, un métier qui pouvait être autrement plus rentable encore. C'était un métier épuisant, exigeant mentalement comme physiquement, qui nécessitait d'être toujours sur le qui-vive et d'avoir le nez fin pour dénicher le meilleur investissement au meilleur moment. Il s'avéra que j'étais très doué à ce jeu. Comment ? Pourquoi ? Aucune idée. J'étais considéré comme un "prodige" du métier mais je n'avais aucun moyen d'expliquer pourquoi et comment je savais quel investissement allait être rentable. Je le savais. C'était tout. Les offres d'emplois tombèrent rapidement, de nombreuses sociétés voulaient me débaucher, les salaires étaient plus stupides les uns que les autres. Pourtant malgré un mariage réussi et heureux, malgré une belle maison dans un quartier résidentiel, malgré mon aisance professionnel, je n'étais pas heureux. Pas autant que j'aurai dû. J'avais arrêté d'écrire après mes études et cela me manquait alors je recommençais, j'avais 30 ans et j'étais loin d'imaginer combien ma vie allait soudainement changer alors que j'écrivais les premières lignes de ma trilogie.

Il me fallut trois ans pour conclure le premier tome de ma trilogie, j'ignorais à ce moment-là d'ailleurs que ça deviendrait une trilogie, et je rajoutais dans les premières pages de la publication "A ma femme depuis toujours et ma fille qui vient de naître". Ma trente-troisième année fut un raz-de-marée de bonheur et de joie. La naissance de ma fille semblait éclipsait pourtant le succès foudroyant de mon roman, j'étais un papa heureux et ce bonheur qui me manquait tant était désormais entre mes mains. Le second tome de mon roman s'écrivit presque tout seul en une toute petite année ce qui ne l'empêcha pas de rencontrer un succès plus important que le premier mais également d'être encensé par la critique. Quand à la conclusion de ma trilogie, elle fut publiée alors que j'avais 36 ans et encore une fois elle ne manqua pas de plaire aux lecteurs comme à la critique. 36 ans ce fut également l'âge que j'avais quand ma seconde fille vint au monde. Ce fut aussi le moment où je décidais de m'éloigner du monde du trading pour me consacrer d'avantage à mes filles. Mes journées étant auparavant très occupées par l'écriture de mes romans mais surtout par mon travail de trader, j'en oubliais d'être un père. Fort des revenues occasionnés par les ventes de mes livres et de quelques placements que j'avais réalisé avec l'argent en question, je me laissais aller à une retraite qui, si elle n'était pas dorée, était plutôt aisée. Ce fut sans compter sur le monde du cinéma et une offre pour le premier tome de mon roman avec une promesse d'acquisition des deux autres tomes en cas de succès du film. J'acceptais mais à la condition de travailler avec le scénariste et le réalisateur, caprice que l'on m'accorda et vente de droit qui me ramena une coquette somme à sept chiffres. Pour autant je passais le maximum de temps avec mes filles et ma femme, j'avais trouvé un équilibre qui me convenait dans ma vie et j'entamais même la rédaction d'un prologue à ma trilogie à la façon d'un Tolkien.

Voilà qui nous mène tout droit à aujourd'hui, à ma présence dans une chambre de la Playboy House. Il y a un an sortit le premier film au cinéma et il rencontra un succès détonnant, le film entrant même dans le trio des films ayant fait le plus d'entrées au cinéma. La vente des droits des deux autres tomes, dont le second volet est actuellement en tournage encore une fois avec un scénario et une réalisation où je gardais un œil, me rapporta à nouveau une manne dont je n'avais plus besoin pour vivre très aisément. Et puis … comme dans toute histoire où tout se déroule trop bien, il y eut le 17 décembre dernier. Un simple accident de la route qui me priva de ma femme et mes deux filles à cause d'un crétin alcoolisé en pleine journée. Une autre bonne raison de ne pas rédiger ma biographie est de ne pas avoir à raconter mes sentiments après cet accident, de ne pas avoir à raconter ma dépression et la solitude que j'avais vécu pendant de longs, très longs mois. Reprendre goût à la vie, voilà ce que m'a conseillé mon psychologue, repartir de l'avant en vivant, en profitant même si c'est difficile. Je n'ai jamais profité de ma fortune, je n'ai jamais été l'homme que d'une seule femme … Expérimenter de nouvelles choses et sensations a dit le psy … Alors j'ai emménagé à Miami et j'ai pris mon abonnement pour Playboy.


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